Ultralibéralisme vs Charte des Nations-Unies,  Adda Bekkouche

 

The following article was published in the May 2022 special issue of the International Review of Contemporary Law, the journal of the IADL, focusing on the 75-76 anniversary of the United Nations Charter.

Ultralibéralisme vs Charte des Nations-Unies

 Adda Bekkouche

Dans son préambule, la Charte des Nations Unies[1] précise, entre autres :

« Nous, peuples des Nations Unies,

Résolus

[…]

– à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

[…]

– à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,

[…] »

Quant aux buts et principes des Nations Unies, la Charte précise dès son article 1 :

« […]

  1. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion;

[…] »

Aujourd’hui se pose la question de savoir si les Etats dans leurs corpus juridiques ces buts sont respectés. Assurément non. On peut même considérer que si pendant les quelques décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale des progrès remarquables ont été réalisés en ce sens, notamment en matière de droits fondamentaux et de libertés publiques, la tendance s’est renversée depuis les années 1980.

Cette régression des systèmes de protection collective et des droits fondamentaux et libertés publiques a commencé par toucher d’abord les pays du  Tiers-monde, à la faveur des Programmes d’ajustement structurel (PAS). Ensuite, après la chute du Mur de Berlin, il a gagné les pays dits communistes. Enfin, dès les années 2000, il s’est étendu à de nombreux pays de la planète, qu’ils se qualifient de démocratiques ou non, donnant lieu à des soulèvements populaires[2].

Ce phénomène de démantèlement des protections sociales et juridiques s’est accompagné par une sorte d’offensive idéologique portant notamment sur des ajustements structurels au profit de pouvoirs économiques oligarchiques. Cette offensive a produit un discours et des règles pseudo-scientifiques qui ont fini par gagner une grande partie des activités sociales. Le phénomène va couvrir surtout la restructuration de l’État, le commerce et les échanges internationaux déterminant ainsi, avec son idéologie et ses règles, le reste des rapports sociaux.

  1. Les instruments contemporains de domination : des programmes d’ajustement structurel généralisés

Les instruments de la domination ont de tout temps été la production d’agents voulant préserver des positions leur permettant de se procurer et de maintenir des avantages au détriment d’autres agents, en position subalterne ou de subordination. Cette relation est très explicite en politique, dont la forme la plus accomplie et répandue est incarnée par l’État. Elle s’appuie sur la force, légitime ou non.

On observe aujourd’hui que ces processus, en se généralisant à la quasi-totalité des pays de la planète, produisent, à des degrés divers, les mêmes mécontentements. En effet, dans les soulèvements et mouvements de contestation qui ont touché de nombreux peuples de la planète ces dernières décennies et particulièrement en 2019, on relève que partout une de leurs origines est constituée par le même processus, qualifié de « programmes d’ajustement structurel » (PAS). Dans les pays dits en développement leur instauration fut plus rapide en raison de la faiblesse des institutions démocratiques et de contrôle. Dans les pays développés, le processus fut plus long. Cela a pris trois ou quatre décennies, c’est le temps qu’il fallait pour réaliser le travail idéologique auquel ont contribué les élites, notamment politiques pour pouvoir « réformer » les règles et institutions publiques.

À ce processus interne, il faut ajouter les pressions externes, que constituent ce qu’on appelle la mondialisation économique, à caractère ultralibérale ou hyper-capitaliste. Celle-ci va également, de manière conjuguée avec les PAS, avoir des conséquences profondes et néfastes sur les institutions, le droit et, par conséquent, la situation sociale et politique, faisant ainsi, à partir des années 1980, son œuvre de sape de l’État social, souvent embryonnaire dans de nombreux pays du Sud. Ce processus de destruction s’est attaqué lentement et progressivement à toutes les avancées en matière de droits fondamentaux et sociaux et de systèmes de protection collective et de services publics.

Ce processus a connu des étapes longues, plus ou moins sophistiquées, mais avec de grandes lignes ou « structures » qu’on retrouve partout, mais plus ou moins élaborées selon les parties du monde. Aussi, au risque d’arbitraire, on perçoit trois grands volets dans ce processus. Le premier concerne l’organisation et la division du travail relatif au pouvoir politique ayant contribué à la production de dogmes de l’hyper-capitalisme. Le deuxième concerne les lieux et espaces de construction de ces dogmes. Ces espaces n’ont ni la même importance ni la même portée, mais leur multiplication et leur impact sur l’opinion publique vont en grandissant. C’est le rôle joué par des réseaux et officines d’influence (organisations paraétatiques, think-tanks et autres lobbies), sur lesquels s’appuient certaines organisations internationales (FMI et BM surtout) et multilatérales (G7, G 20…) pour diffuser des idées et imposer des règles et principes d’administration aux États, qui sont aux antipodes des objectifs d’intérêt général.

Liberté de commerce et d’industrie contre coopération avec l’appui des institutions financières internationales

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale des institutions internationales[3] ont persévéré à reproduire les inégalités et donc la dépendance des peuples vis-à-vis des intérêts privés. Les institutions financières internationales (IFI) et d’autres organisations plus récentes ont joué un rôle déterminant dans ce processus.

Les organisations de la mondialisation économique libérale sont nombreuses, mais nous nous intéresserons qu’à celles qui produisent des injonctions significatives auxquelles les États sont tenus de se conformer. Parmi ces institutions, on peut citer, sur le plan international, le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Sur le plan régional, certaines organisations ont un poids plus important que des organisations internationales. Parmi, ces organisations, on peut citer, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la Banque centrale européenne (BCE) ou la Commission européenne (CE). Enfin, il existe des organisations informelles ou privées dont la portée des injonctions est particulièrement importante. Parmi celles-là, le G8 ou le G20 constituent des formes de directoire mondial, alors que les agences de notation, en portant une appréciation financière et économiques sur les États décident de leur santé financière et de leur solvabilité auprès des institutions financières et des grandes banques.

Ces organisations produisent des études, rapports, recommandations et autres avis qui constituent de véritables « verdicts » adressés aux États, auxquels ils doivent se conformer pour faire preuve de rigueur en matière de gestion publique et de bonne « gouvernance », selon la terminologie, très idéologiquement orientée, utilisée par ces organisations et leurs soutiens que sont les grandes entreprises transnationales (ETN). L’État va donc se soumettre à ces injonctions pour le bénéfice des grands intérêts privés et au détriment de son peuple.

Si ces institutions ont joué un rôle important dans les politiques de développement, elles ont également joué un rôle négatif dans de nombreux pays du Tiers Monde en généralisant les programmes d’ajustement structurel (PAS), qui ont rendus ces pays plus dépendants des pays développés et de leurs marchés financiers et, d’autre part, diminué leurs capacités d’investissement en réduisant leurs ressources financières (impôts, droits de douane, contributions sociales…).

  1. Commerce international et libéralisation de tous les échanges : des atteintes graves aux buts et principes de la Charte des Nations-unies

Liberté de commerce et d’industrie, voilà la devise du capitalisme, continuellement répétée et actualisée par ses thuriféraires. La liberté de commerce ne doit souffrir d’aucune limite ou contrainte, y compris au détriment de l’écrasante majorité des populations concernées. Et lorsque certaines tentatives ont été menées pour corriger ce principe en vue de prendre en compte la situation des populations, c’est-à-dire l’intérêt général, cela n’a pas duré longtemps. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, essayant de tirer les leçons des deux conflits, les États vainqueurs avec une poignée d’États non occidentaux, plus ou moins indépendants, ont tenté de construire un système international moins injuste pour éviter d’autres drames mondiaux susceptibles d’advenir. Cette tentative a permis de projeter des organisations et principes internationaux dont la coopération est le maître-mot. Mais il fallait compter sur le capitalisme et ses soutiens, au sein des États dominants, pour que cet esprit[4] ne dure que quelques décennies.

  1. L’OMC versus Charte de La Havane

Compte tenu des effets néfastes de l’OMC sur les échanges économiques et commerciaux Nord-Sud, son statut pose de sérieux problèmes de légitimité. Alors que l’Organisation internationale du commerce (OIC) devait faire partie intégrante du système de l’ONU, l’OMC est externe à ce système tout en s’imposant à lui. Élaborée et négociée dans le cadre de l’ONU, l’OIC devait puiser sa légitimité de son système international. Aujourd’hui, alors que l’OMC remplit des fonctions qui devaient l’être par l’OIC, l’absence de légitimité internationale dont elle se caractérise est particulièrement problématique. D’ailleurs, l’appellation même de l’organisation montre son caractère contraire à la dynamique internationale. Avec l’OIC, il est question d’une organisation internationale, donc résultante d’une construction d’États engageant leurs peuples. Avec l’OMC, il est question d’une organisation mondiale. On se rend donc compte que l’adjectif de chacune des organisations, non seulement éclaire sur le sens de leur action, mais l’oriente profondément.

  1. Le projet mort-né de l’Organisation internationale du commerce

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États vainqueurs, avec le consentement des autres États souverains de l’époque, ont décidé d’instaurer un nouvel ordre international. Ce nouvel ordre projeté devait traiter des questions commerciales, économiques, sociales et politiques et donna naissance à la Charte de La Havane. Adoptée, sous les auspices du Conseil économique et social des Nations unies, lors de la Conférence de La Havane (Cuba) du 21 novembre 1947 au 24 mars 1948, elle devait aboutir à la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC), faisant partie intégrante du système onusien. Le texte de la Charte de La Havane fut soumis aux États l’ayant négociée, mais faute de ratification par le Congrès des États-Unis d’Amérique, ce texte n’entrera jamais en vigueur.

On peut considérer que bien que ne s’attaquant pas à la nature de l’inégalité des échanges économiques et commerciaux internationaux, ce texte devait permettre d’en limiter les effets les plus négatifs. Contrairement au néolibéralisme actuel, la Charte de La Havane prévoyait dès son article 1er de se conformer aux « objectifs fixés par la Charte des Nations unies, particulièrement le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et les conditions de progrès et de développement. » Cet énoncé suppose que le commerce international constitue un moyen et non une fin pour améliorer les conditions de vie des personnes. De ce fait, la Charte devait favoriser la coopération des États « entre eux, avec le Conseil économique et social des Nations unies, avec l’OIT, ainsi qu’avec les autres organisations intergouvernementales compétentes, en vue de faciliter et de favoriser le développement industriel et le développement économique général…» (article 10). Et afin de prévenir les effets négatifs du commerce sur les populations vulnérables, les produits de base sont considérés comme une catégorie particulière à protéger des fluctuations des prix et devant être soutenus par les pouvoirs publics. De ce fait, la Charte dispose, dans son article 27, qu’un système de stabilisation des prix soit instauré. Enfin, élément important, la Charte voulait instaurer une conformité entre le commerce international et le respect de normes équitables de travail en précisant, dans son article 7, que « les États membres reconnaissent que les mesures relatives à l’emploi doivent pleinement tenir compte des droits qui sont reconnus aux travailleurs par des déclarations, des conventions et des accords intergouvernementaux. Ils reconnaissent que tous les pays ont un intérêt commun à la réalisation et au maintien de normes équitables de travail… »

La Charte de La Havane et l’OIC furent l’objet de nombreux éloges  de la part d’une partie des mouvements et auteurs qui rejettent l’échange inégal. Elle a également été en quelque sorte démystifiée  par une partie de ces mouvements. On peut considérer toutefois que bien qu’insuffisante, la Charte de La Havane est, dans l’esprit et la lettre, moins inégalitaire et plus protectrice des intérêts des peuples que l’actuelle OMC.

En tout état de cause l’OIC ne verra pas le jour, mais les négociations vont reprendre et donner lieu à des accords et règles provisoires relatives au commerce et tarifs douaniers. Il s’agit de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, plus connu sous le nom de GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), qui reprend en grande partie ce qui avait été prévu par la Charte de la Havane en matière commerciale et douanière. Il fut adopté en 1947, en tant que cadre provisoire en attendant la validation de la Charte de La Havane.

  1. Traités de libre-échange, une atteinte à la démocratie et à la souveraineté des peuples. L’exemple du traité transatlantique[5]

Le traité transatlantique[6], entre les États-Unis d’Amérique (EUA) et l’Union européenne (UE), fait l’objet de nombreux commentaires qui concernent surtout les domaines économique et commercial. Pourtant cet instrument concerne également les droits fondamentaux et démocratiques. Il y a donc lieu de s’attarder sur la manière dont ce traité va affecter ces droits et les principes qui en découlent. Aussi, peut-on affirmer d’emblée que si cet instrument entrait en vigueur, conformément aux orientations qui découlent du mandat de négociation[7], il s’agirait tout simplement d’une usurpation de souveraineté des peuples européens.

  • D’abord au travers des négociations de cet accord qui soulèvent de nombreuses questions quant aux modalités de sa négociation.

Dans une démocratie, ce qui engage la collectivité, notamment en matière de traités internationaux, doit être négocié et conclu conformément à un mandat clair, préalablement défini et sous le contrôle d’instances élues. Ce n’est nullement le cas concernant le traité transatlantique. Ces négociations dérogent à de nombreux principes et pratiques habituels dans la formation des traités internationaux. De ce fait, elles portent atteinte au droit international et au droit constitutionnel de nombreux pays européens.

Notons d’abord que le mandat de négociation est confié au négociateur unique de l’UE avec les EUA, Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce. Par ailleurs, cet accord est négocié sans publicité ni débat et dans une grande opacité[8] de la part de la Commission européenne (CE) et des gouvernements nationaux. Ainsi, ni le Parlement européen, ni les parlements nationaux ne sont tenus au courant du détail des négociations entre Washington et Bruxelles. Le Parlement européen et les États membres ne disposent que d’un accès restreint au détail des échanges[9]. Ajoutons à cela qu’aucun projet ou document précis n’a été ni publié ni même mis à la disposition du Parlement européen, afin que ce dernier, en tant que représentant des peuples des pays membres de l’Union, puisse en débattre. Enfin, la CE a commencé à négocier en mars 2013, alors que le mandat pour le faire ne lui a été conféré qu’en juillet 2013.

 

Ainsi, alors que les négociations d’un tel traité devraient être portées à la connaissance des parlements européens et nationaux, la CE et les gouvernements nationaux s’y impliquent peu, ignorant les principes et règles de formation des traités internationaux. De plus, et c’est un aspect qui n’est pas des moindres, les négociations portent atteinte aux principes de la Charte des Nations Unies qui lient tous les États européens et les États-Unis. En effet, la Charte des Nations Unies dispose dans son article 1er :

« Les buts des Nations Unies sont les suivants :

  1. […] ; 
  1. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ; […]»

Manifestement, au vu de ces dispositions, les négociations menées ne respectent guère le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Tout est fait de sorte que les peuples et leurs représentants ignorent les détails des négociations. Celles-ci sont menées de manière confidentielles, pour ne pas dire secrète. Or il s’agit de matières qui touchent non seulement les conditions de vie économique, sociale et sanitaire, mais le projet de traité touche les conditions d’exercice du pouvoir politique, et donc les principes démocratiques. Par conséquent, cette façon de faire n’est pas digne d’une démocratie et tend à la dépossession des peuples de leur souveraineté.

Mais le plus grave porte sur le mécanisme de règlement des conflits prévu par le mandat de négociation.

  • Le règlement de différends investisseurs-État (RDIE) ou ISDS (Investor-state dispute settlement), la privatisation du règlement des différends, un des derniers avatars du libre-échange pour réduire la souveraineté des peuples.

Ce mécanisme qualifié en jargon de la CE d’ISDS (Investor-state dispute settlement) ou de RDIE (Règlement de différends investisseurs-État), permet aux instances privées d’arbitrage de régler des litiges entre des entreprises étrangères et des États. Selon ses défenseurs, ce mécanisme est constitué de meilleures garanties juridiques pour les entreprises afin qu’elles investissent davantage à l’étranger. En fait, il s’agit de mettre sur pied des garanties de protection maximale de l’investissement privé. Ses adversaires trouvent, au contraire, qu’il constitue une procédure d’exception, qui autorise des groupes privés à attaquer des États en justice, et ainsi démanteler les différentes protections juridiques, normes, règles, processus de régulations et politiques publiques.

Présent dans l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA) et dans l’accord, en voie de finalisation, entre le Canada et l’UE, ce mécanisme, prévu par les articles 23-2 et 45 du mandat de négociation, donnerait la possibilité aux entreprises étrangères d’exercer des recours devant un tribunal arbitral, dans les matières couvertes par l’accord, contre l’État et les collectivités publiques de tout niveau, si elles considèrent que leurs intérêts sont lésés. En cas de victoire de l’entreprise étrangère, elle peut prétendre à des indemnisations et des dommages et intérêts, in fine supportés par le contribuable.

Ce mécanisme qualifié en jargon de la CE d’ISDS (Investor-state dispute settlement) ou de RDIE (Règlement de différends investisseurs-État), permet aux instances privées d’arbitrage de régler des litiges entre des entreprises étrangères et des États. Selon ses défenseurs, ce mécanisme est constitué de meilleures garanties juridiques pour les entreprises afin qu’elles investissent davantage à l’étranger. En fait, il s’agit de mettre sur pied des garanties de protection maximale de l’investissement privé. Ses adversaires trouvent, au contraire, qu’il constitue une procédure d’exception, qui autorise des groupes privés à attaquer des États en justice, et ainsi démanteler les différentes protections juridiques, normes, règles, processus de régulations et politiques publiques. Plus grave, il désarme les États, en matière juridictionnelle et législative, au profit des entreprises transnationales.

Par ailleurs, ce mécanisme bat en brèche des principes de droit public et constitutionnel. Dans ce cas, les instances d’arbitrage auront la primauté sur les juridictions étatiques. En effet, le recours à l’arbitrage, qu’il soit national ou international, est permis selon des conditions précises. L’une des plus importantes est l’utilisation et l’épuisement de toutes les voies juridictionnelles publiques de recours internes et internationales. Ce n’est que lorsque toutes ces voies de recours sont épuisées que l’on peut faire appel à des arbitres. Pour résumer, en matière de règlement des différends, la norme est d’utiliser les juridictions publiques. Au cas où une des parties n’a pas obtenu satisfaction, elle peut faire appel à l’arbitrage, à condition que l’autre ou les autres parties l’acceptent. Ce sont ces règles et principes qui sont attaqués par cet accord, c’est la raison pour laquelle un mouvement européen s’est constitué pour refuser ce mécanisme, obligeant la CE à lancer une consultation publique sur le sujet[10].

En conclusion, on observe que les instruments de domination, sur la base d’une offensive idéologique ultralibérale, ont abouti à asseoir des structures dont le résultat est le démantèlement des barrières et protections, de droits, normes et règles ayant abouti à la réduction des moyens publics, l’augmentation de l’endettement des États et l’appauvrissement des populations. Le processus avait et a donc pour objectif l’affaiblissement de l’État-providence, voire sa disparition programmée. Or, quelles que soient ses insuffisances, et elles sont fort nombreuses, il reste encore un rempart contre les appétits voraces des entreprises transnationales et un protecteur des plus vulnérables. Le respect des droits fondamentaux et démocratiques demeure un des meilleurs moyens de le préserver. La Chatre des Nations Unies, à laquelle tous les États sont tenus, doit y contribuer. Encore faut-il la respecter.

Adda BEKKOUCHE,

Docteur d’État en droit, ancien enseignant à l’Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne.

Dernier livre paru, avec Robert Charvin, La Colère des peuples ou la mondialisation du ras-le-bol, Investig’Action, Bruxelles, 2021.

[1] La Charte des Nations Unies a été signée à San Francisco le 26 juin 1945, à la fin de la Conférence des Nations Unies pour l’Organisation internationale, et est entrée en vigueur le 24 octobre 1945.

[2] Cf. Robert Charvin et Adda Bekkouche, La Colère des peuples ou la mondialisation du ras-le-bol, Investig’Action, Bruxelles, 2021.

[3] Nous entendons par institutions aussi bien les organisations que les principes et règles qu’elles mettent en œuvre. En d’autres termes, nous appréhendons l’action de ces institutions, à l’image de l’action publique nationale, en tant que règles, plans et programmes d’action du système mondial – et non international, car ce qualificatif a un sens bien différent –, appelé régir la mondialisation économique libérale.

[4] Il ne s’agit bien que de l’esprit, car toutes les tentatives de faire se conformer les actes au discours et idées de coopération ne furent jamais véritablement acceptées par les États occidentaux. Le colonialisme, l’impérialisme et la Guerre froide, puis le « règne » de l’ultralibéralisme ne permettront jamais l’émergénce de ce monde nouveau plus juste et pacifique.

[5] Les passages qui suivent sont tirés d’un article réalisé pour la revue en ligne Les Possibles, 2014. A. Bekkouche, «Traité transatlantique, une régression des droits fondamentaux et démocratiques », [en ligne], consulté le 30 juin 2020, URL : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-4-ete-2014/dossier-accords-de-libre-echange/article/traite-transatlantique.

[6] Plusieurs noms sont utilisés pour désigner ce projet de traité, mais l’officiel est Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), en anglais Transatlantic Trade Investment Partnership (TTIP). Dans ce texte, nous utiliserons le nom de traité ou accord transatlantique.

[7] Ce document du Conseil de l’UE comprend 46 articles. Il est daté du 17 juin 2013 et a été adopté le 14 juin 2013. La version officielle du document n’existe qu’en anglais et sa diffusion est restreinte. Il existe cependant des textes, en français, de traduction officieuse, dont l’une des plus fiables est celle de Raoul Marc Jennar.

[8] M. Pigeon, « Grand marché transatlantique. Silence, on négocie pour vous », Le Monde diplomatique, Juin 2014.

[9] Ibid.

[10] La Commission européenne a achevé cette consultation publique La CE a reçu des centaines de milliers de réponses, en majorité négatives, à sa consultation sur le mécanisme d’arbitrage entre État et investisseur, l’un des volets les plus sensibles du futur accord de libre-échange entre Bruxelles et Washington. Reste à savoir comment la CE prendra en compte les réponses. Voir L. Lamant, « Succès de la consultation publique sur un volet sulfureux de l’accord UE-USA », Médiapart, 26 juillet 2014, consulté le 30 juillet 2014.

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