« Non aux deux poids deux mesures », Georges Corm

 

The following article was published in the May 2022 special issue of the International Review of Contemporary Law, the journal of the IADL, focusing on the 75-76 anniversary of the United Nations Charter.

« Non aux deux poids deux mesures »

Georges Corm

Transcription – Rencontre internationale-Intervention de Georges Corm – Paris, 1er juin 2016

Le Grand Moyen-Orient correspond exactement au concept de George Bush, la création du chaos dans la région et dont je souhaiterais que cela soit vraiment changé. Je m’excuse si je n’ai pas fait attention avant. Mais il ne me semble pas avoir vu avant dans le premier programme cette notion de Grand Moyen-Orient, là je pense qu’il est vraiment nécessaire que l’on change pour nous autres qui vivons dans le chaos et violences dans notre région du monde.

Ce chaos de violence est vraiment associé à cette notion, la notion de « Grand Moyen-Orient » qui jusqu’à présent malheureusement domine la politique impériale pour ne pas dire impérialiste des Etats-Unis auquel l’OTAN est malheureusement le bras très actif et je suis heureux qu’il ait dénoncé ce matin de façon si intense

Je vais essayer de déterminer les causes du chaos de violence qui affectent diverses sociétés arabes. En effet, les unes derrière les autres tombent dans le chaos comme des dominos et il nous faut ici essayer de déterminer les responsabilités entre facteurs internes et facteurs externes. Parce qu’il faut aussi bien que nous autres Arabes et vous autres Européens prenions nos responsabilités pour contribuer à mettre fin au chaos qui n’est pas seulement un chaos de violences physiques, mais aussi un « chaos mental ». Et quand je vois comment se font des analyses sur la situation des pays arabes, j’ai rarement vu un chaos aussi effrayant qui évidement fait que tout le monde baisse les bras. Tout le monde dit « Ah ! On n’y peut rien ».

Alors en deux temps je vais d’abord très vite essayer de voir quels sont les causes de ce chaos et de les classer de façon rationnelle ce qui nous aidera par la suite à trouver des solutions relatives à ce qu’il faut faire des deux côtés de la Méditerranée.

Vu le temps limité imparti à mon intervention, je pense que dans les causes historiques du chaos, je ne peux pas faire un exposé qui soit quelque peu détaillé, mais en résumé, il y a trois causes principales de la déstabilisation violente actuelle.

La première est relative aux conséquences de la disparition de l’Empire Ottoman et à la façon dont le monde arabe a été « balkanisé » par opposition à Turquie qui a pu résister à l’impérialisme européen sous la direction énergique de Mustapha Kemal et réaffirmer et sa présence et sa puissance sur le plateau Anatolien

Par opposition à l’Iran seconde grande entité ethnico-nationale du Moyen-Orient, qui elle aussi a gardé une influence régionale importante et a sauvegardé son unité en dépit de la diversité très grande à l’intérieur de l’Iran elle-même.

La troisième entité ethnique du Moyen-Orient est celle des Arabes qui, à la suite de la première guerre mondiale ont été totalement balkanisé. Il est nécessaire de le rappeler, cette balkanisation est le résultat des accords entre Marc Sykes- pour l’Angleterre et Georges Picot pour la France et l’Angleterre, toutes deux « grandes puissances » coloniales. A ceci s’ajoute la célèbre Déclaration de Balfour de 1917 promettant la Palestine au Mouvement sioniste puis les traités qui ensuite ont confirmé une balkanisation du monde arabe à l’encontre de la promesse qui avait été faite par les Britanniques de la création d’un royaume arabe unifié sous la direction de la famille Hachémite, une famille ouverte, moderniste et qui était soutenue par une large partie de l’opinion arabe à l’époque.

A la place de la famille Hachémite on a assisté au remplacement dans le gouvernement du Hedjaz à ce que j’appelle aujourd’hui un Califat occulte, celui de la famille des Saoud dans la Péninsule arabique alliée à la secte Wahhabite très longtemps considérée comme une forme d’Islam déviant pour ses excès en matière religieuse.

Nous en reparlerons parce que ce Califat occulte s’est surtout affirmé avec la puissance pétrolière du royaume puis la création de la Conférence des Etats islamiques à son initiative.

Il s’est donc créé dans le monde arabe un « vide de puissance », ce n’est pas au Moyen- Orient qu’est né le vide mais spécifiquement c’est dans le monde arabe. Il se perpétue jusqu’aujourd’hui et de ce fait attire toutes les interventions externes. Au cours de la période de la guerre froide, les interventions américaines étaient donc motivées et justifiées par ce vide de puissance.  Les USA ont essayé alors de mettre les Etats arabes avec l’Etat Israël d’ailleurs dans un pacte antisoviétique destiné à mettre en échec le développement de la jeunesse communiste ou socialiste, à l’époque extrêmement importante dans toutes les sociétés musulmanes.

Tout le monde a oublié aujourd’hui les répressions qui se sont abattues sur l’Indonésie, qui avait le plus grand parti communiste au monde en dehors de l’URSS, mais aussi au Soudan, pays arabe, dont le parti communiste était le plus important dans le monde arabe. Il y a eu d’autres pays arabes ayant de nombreux communistes aussi. Leur répression s’est alors faite dans un silence assourdissant des associations de droits de l’hommes alors que dès qu’une personnalité de l’islam politique était mise en prison on avait toutes les associations de droit de l’homme qui se mobilisaient en Occident.

Je pense que c’est important de rappeler ici cette politique américaine de lutte contre l’influence de l’URSS s’est alors développée aux Etats Unis qui ont commencé à instrumentaliser l’islam mais aussi le judaïsme et accessoirement des formes fondamentalistes de protestantisme pour aussi contribuer à faire reculer l’influence soviétique et communiste dans tout le tiers monde.

Ceci va se traduire par trois événements importants.

Tout d’abord la formidable révolution populaire iranienne qui était loin d’être une révolution religieuse et je vous rappelle que l’Iran n’est pas arabe. Cela a été une révolution confisquée par les religieux, mais auquel, le philosophe français, Michel Foucault a donné le nom de révolution religieuse en s’extasiant sur un prétendu retour du spirituel en politique et puis il a déchanté et donc face à cette révolution confisquée iranienne à couleur chiite, l’Arabie Saoudite a éprouvé le besoin de créer à son tour un « réveil islamique » (Sahwa) qui faisait contrepoids à celui déclenché par le régime installé à Téhéran qui prétendait aussi mobiliser l’ensemble des musulmans du monde avec une islamisation du vocabulaire marxiste. Ainsi, au lieu d’évoquer le « prolétariat », les religieux d’Iran vont parleront des « déshérités » (al mahroumoun), et au lieu de désigner les impérialistes américains par leur nom, ils surnommeront les Etats-Unis le Grand Satan etc. etc.

Au cours de la même période, les Etats-Unis mobiliseront et entraineront des dizaines de milliers de jeunes arabes en Arabie Saoudite et au Pakistan, non point pour aller libérer la Palestine, mais pour aller se battre en Afghanistan contre l’armée soviétique qui essaye de maintenir un régime moderniste dans ce pays.  Tous nos malheurs ont commencé à partir de là parce l’organisation Al Qaida s’est formé en Afghanistan. Elle va se transformer en une armée prétendue « jihadiste » qui après l’Afghanistan, va se rendre en Bosnie, puis en Tchétchénie et aujourd’hui elle est massivement présente en Syrie et elle constitue une arme de destruction massive bien évidemment.

Et ensuite nous avons les rêves de Georges Bush Junior de remodeler le Moyen Orient, avec cette notion du Grand Moyen Orient.

3ème facteur et là je voudrais rappeler que cette catastrophe continue. On va lutter contre le terrorisme en déployant des armées dans le monde, c’est évidemment la meilleure façon de le multiplier.

On va voir l’armée américaine envahir l’Irak alors que le régime de Saddam Hussein était vilipendé par les organisations terroristes islamiques qui rêvaient de pouvoir abattre le régime. Elle va aller envahir aussi l’Afghanistan alors que les Talibans était alliés aux Etats-Unis, mais c’est vrai ce régime de fondamentalisme islamique n’était reconnu que par l’Arabie Saoudite et par le Pakistan, mais jouissait de la bénédiction américaine. Il faut attendre les dramatiques et mystérieux évènements de septembre 2001 à New York et Washington pour que les Etats Unies décident aussi d’envahir l’Afghanistan.

Alors la question reste ouverte pour savoir si cette politique américaine de déploiement de ses armées sous prétexte de lutte contre le terrorisme est le résultat d’un quotient mental déficient des Etats-Unis, ce que j’ai du mal à croire, ou s’il s’agit d’une planification afin de créer le chaos pour pouvoir réorganiser un nouveau Moyen-Orient qui serait le Grand-Moyen Orient bien arrimé définitivement justement à l’Otan et aux Etats-Unis.

D’où cette lutte contre le régime iranien et contre les deux autres dissidents : le régime syrien et le Hezbollah qui libanais qui perdure jusqu’aujourd’hui.

Et ce qui est étonnant alors, si en revient aussi ici à l’Europe, où la France joue malheureusement un rôle très actif dans cette politique américaine, c’est qu’après avoir constaté les résultats catastrophiques de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis et ses alliés, la même politique est suivie en Libye avec des bombardements massifs qui créent le chaos actuel, ce qui permet aux organisations terroristes de fleurir. Et comme si cela ne suffisait pas, la même politique est appliquée à la Syrie et puis dernièrement au Yémen, sous couvert d’une résolution des Nations Unies.

Je voudrais juste faire ici une remarque très rapide que les embargos économiques décrétés par le bloc occidental sous couvert de résolutions des Nations-Unies ont des effets catastrophiques sur les populations civiles innocentes.

Dans le cas d’Irak, les treize années d’embargo économique ont fait 500,000 victimes dans les populations de femmes, d’enfants et vieillards. C’est un véritable crime contre l’humanité qui est perpétré sous couvert des Nations Unies et qui prouve une instrumentalisation totale des Nations Unies par les Etats-Unis.

Alors qu’est-ce qu’on peut faire d’autant que le chaos n’est pas seulement aujourd’hui un chaos géopolitique, c’est un « chaos mental » que reflète la plupart des analyses. Je suis absolument catastrophé quand je lis les analyses des « observateurs » occidentaux.

Plusieurs remarques et rapides s’imposent ici. Je suis affolé des discussions sur la religion et notamment sur l’islam, matin, midi et soir. C’est ahurissant, et cela empêche de voir les vrais problèmes.  Depuis septembre 2001, le mot d’ordre semble être « A vos Corans », pour comprendre. Tout le monde est devenu spécialiste du Coran, tout le monde cite le Coran, est-ce qu’on peut donner un meilleur appui aux organisations terroristes, qui se réclament de l’Islam, Non et c’est pour cela que je parle de chaos mental.

Les véritables problèmes en effet sont des problèmes de géopolitique, mais aussi des problèmes sociaux, économiques, culturels …, alors que le terreau qui accroit évidement le terrorisme c’est de déploiement des armées qui envahissent des pays souverains et c’est le fait d’ignorer totalement la question socio-économique.

Il faut que vous sachiez en effet que le monde arabe a le plus haut taux de chômage du monde notamment dans la jeunesse parmi tous les continents et la plus faible participation de la femme au marché du travail parmi toutes les régions du monde. Bref il y a une série d’indicateurs socio-économiques qui auraient dû attirer l’attention, en réalité, c’est la société civile arabe, j’emploie cette terminologie à défaut d’autres chose, ce sont des millions d’Arabes qui se sont soulevés en masse au début de l’année 2011 d’Oman à la Mauritanie.

Il y a une conscience collective de toute ces sociétés arabes qui aurait dû attirer l’attention. En réalité ce sont les Arabes qui ont demandé le pain et la dignité, qui ont demandé des emplois et qui ont demandé de finir avec les inégalités sociales afférentes qui existent avec la marginalisation et avec l’exclusion. Malheureusement on a vu comment ce formidable mouvement de liberté qui a pu inspirer des mouvements de l’autre côté de la Méditerranée, comme Podemos, comme chez les Grecs, ou encore comme Occupy Wall Street. Il a été réprimé avec violence un peu partout et s’est heurté aux associations de Frères musulmans.

Je signalerais ici que nous avons eu récemment aussi un mouvement très actif de la société civile au Liban pour essayer de secouer le gouvernement qui crée des crises socio-économiques les unes derrière les autres. Ce mouvement a aussi été réprimé avec brutalité pour le pays le plus démocratique de la région. C’était stupéfiant et peu en ont parlé sur l’autre rive de la Méditerranée.

Je pense que la société arabe en général a bougé.  Elle a fait son travail.  Elle a été réprimée. Mais les sociétés européennes démocratiques font-elles leur travail ? Demandent-elles des comptes à leurs gouvernements pour toutes ces expéditions militaires coûteuses aux résultats catastrophiques qui coûtent très cher aux contribuables occidentaux ?

Sur ce plan c’est un silence assourdissant y compris sur la situation Syrienne, où la France a entrainé beaucoup de jeunes européens de confession musulmane à partir de se battre contre l’Etat syrien comme si c’était une ardente obligation. Peut-être des Français ont-ils pensé que c’était une nouvelle guerre d’Espagne ? Ou bien inconsciemment a-t-on voulu se venger de la Syrie qui a résisté au mandat français ?

Je ne sais pas.

Mais enfin, si aux Etats Unis et dans les pays démocratiques européens des comptes ne sont pas demandés aux gouvernements sur leur politique extérieure, rien ne va changer, cela va continuer de plus belle et sous prétexte de terrorisme, alors évidement on resserre dans la surveillance de toutes les populations européennes. Il faut arrêter cette machine infernale

Le second principe que je propose c’est de décréter la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays. Ces ingérences massives et militaires sont absolument effroyables et condamnables. C’est honteux d’évoquer les droits de l’homme à leur sujet. Aujourd’hui dans la situation syrienne, la Russie, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la France, tout le monde est là, C’est absolument incroyable.

Enfin, troisième principe, est d’arrêter la mise en œuvre des deux poids deux mesures dans l’application du droit international et notamment dans les nobles principes des droits de l’homme. Je veux bien que l’Europe fasse des pressions, qu’on critique un gouvernement sans nécessairement le démoniser, mais alors il faut critiquer tous les gouvernements qui ne respectent pas les droits de l’homme. Or sur l’Arabie Saoudite par exemple c’est un silence assourdissant mais aussi sur d’autres régimes dans les bonnes grâces de l’OTAN.

Je me souviens d’un mot en guise conclusion, celui du président John Kennedy qui disait « Il y a deux sortes de dictateurs, il y a des mauvais dictateurs qu’il faut absolument combattre et puis il y a les bons dictateurs, qui sont nos amis ».

Les dictateurs qu’on combat se sont trop souvent ceux qui ne se soumettent pas à la volonté impérialiste alors que ceux qui se sont soumis à la volonté impérialiste échappent à toute critique systématique et on le voit maintenant dans l’AKP Turque, la Turquie est un membre de l’OTAN, les protestations sur le comportement de Monsieur Erdogan sont très faibles. Quant à tous les rêveurs qui ont dit que l’AKP c’est le modèle d’Islam politique qu’il faut adapter au monde arabe, eh bien je crois aujourd’hui que ce parti a montré son véritable visage et qu’il est temps de ne pas avoir peur de prendre des positions franches en préconisant la séparation de l’église et de l’Etat, mais aussi bien la liberté d’interprétation du texte coranique : voici les bases indispensables à la liberté de conscience. Il faut s’y mettre, sinon on va continuer de rester dans ce chaos mental qui est absolument affligeant.

J’ai souvent préconisé un moratoire sur les discussions religieuses publiques, un moratoire et notamment celles sur l’Islam parce que ça devient absolument infernal.

Une explication courante et simpliste aujourd’hui est celle qui voit partout une rivalité entre Sunnites et Chiites. Alors que du temps du Shah d’Iran qui était un allié des Etats-Unis, tout le monde avait oublié que l’Iran était Chiite.

Voilà je suis content de cette opportunité que le parti Communiste donne de se retrouver tous ensemble et pour reprendre le mot de notre ami de Russie : « Ne pas perdre l’optimisme historique », je le remercie d’avoir dit cette phrase parce que personnellement j’ai beaucoup tendance à le perdre.

Merci

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