The following article was published in the April 2022 special issue of the International Review of Contemporary Law, the journal of the IADL.
Vanessa Condaccioni – La Maitron | English translation
Roland Weyl est né en 1919 à Paris dans une famille de juristes où l’on portait la robe depuis trois générations. Si sa mère, Suzanne Lévy de Souza, était la fille de « commerçants confortables », son arrière grand-père était huissier, son grand-père juge de paix et son père, André Weyl, avocat depuis 1908. Ce fut avec lui que, très jeune, il monta pour la première fois les marches du Palais de Justice et qu’il se familiarisa avec le métier d’avocat. Hormis les « bagarres » avec les « fascistes » au lycée, les fêtes pour célébrer la victoire du Front populaire en 1936 ou la participation deux ans plus tard à une réunion organisée par les Jeunes Radicaux qui ne le convainquit pas, Roland Weyl se politisa peu durant sa jeunesse et se consacra à ses études. Docteur en droit, il prêta serment le 12 juillet 1939 mais, en raison de sa judéité, ne put exercer avant 1945. Sous l’Occupation, sa famille se réfugia en Auvergne et Roland Weyl, qui ne souhaitait pas résister au sein du mouvement communiste, s’engagea en revanche sous un faux nom d’abord au sein du réseau Combat dont il se désengagea en 1943 en raison de « l’attitude diviseuse, anticommuniste et suspecte de certains de ses membres » selon ses dires, puis dès 1944 au sein du Mouvement des Auberges de Jeunesses de Lyon qui, entre autres activités résistantes, hébergeait des enfants juifs. Toujours à cette date, il se rapprocha des FTP et intégra le groupe franc de Riom où, sous les ordres du « lieutenant J. Thomas », il mena des enquêtes à Vichy dans le cadre de la future épuration.
Aussi, après la Libération, le Parti communiste lui apparut comme le « seul outil d’action pour un changement de société ». Il adhéra ainsi au PCF en janvier 1946 et, comme tous les militants du Parti, multiplia les adhésions dans des organisations dites « satellites ». Il fut ainsi très rapidement membre du Secours populaire, dont il intégra le bureau national dès 1950, du Mouvement national judiciaire et de l’association France-Tchécoslovaquie. Il devint également membre du bureau de Peuple et Culture qui prônait l’éducation populaire, du comité de Travail et Culture, et devient secrétaire général de Santé-Loisir-Culture qui entendait répandre la culture dans les sanas et organiser les loisirs culturels des tuberculeux. Tout en prenant des responsabilités dans le Parti (bureau de section du XVIIIe arrondissement de 1947 à 1950 ; comité de section de Paris 1er de 1950 à 1952), Roland Weyl milita à la cellule Hajje du Palais de Justice, au sein de laquelle il côtoyait de nombreux avocats engagés, comme le socialiste Pierre Stibbe et surtout Marcel Willard, figure-type de l’avocat militant communiste dont il suivait les cours sur « la défense politique ».
Dans un contexte de radicalisation de la répression anticommuniste qu’attestait la gestion étatique des grandes grèves des mineurs de 1947-1947, et comme la cinquantaine de jeunes avocats qui adhérèrent au parti après la Libération, il dut dès lors apprendre à devenir un « avocat révolutionnaire » et à politiser ses pratiques professionnelles. « Tout à apprendre, écrit-il dans ses mémoires, car l’enseignement de Marcel Willard est une véritable rupture avec ce que la faculté, la profession, et, plus généralement, l’ordre bourgeois peuvent enseigner ». Cette défense politique, consistant en la défense d’une cause dans les prétoires, Roland Weyl la mit en œuvre dans tous les cas judiciaires qui lui furent confiés à partir de cette date. Dès 1948, il participa à l’organisation collective de la défense des mineurs inculpés et plaida à Béthune, Douai, Arras ou encore à Alès. En décembre 1948, lors de l’un de ses aller-retour entre Paris et Béthune, il rencontra Monique Picard, elle aussi avocate, avec laquelle il se maria l’année suivante et eut trois enfants dont deux seront aussi avocats. Puis au moment des « pics de répression » de la guerre d’Indochine, il plaida dans de nombreuses affaires de distribution de tracts qui impliquaient des membres de l’UJRF ou dans des affaires de propagande où étaient impliqués des journalistes et des organes de presse du PCF. En 1952 par exemple, il devint l’avocat de Georges Morand, directeur de la publication du Ralliement depuis 1946 et député de Maine-et-Loire, et Pierre Dessite, journaliste, tous deux accusés « d’injures » et de « diffamations » pour avoir dénoncé un verdict prononcé contre un membre du parti. Lors de leur procès, qui se déroula en janvier devant le tribunal de grande instance d’Anger, il mena une véritable défense politique typique des stratégies communiste de politisation de la répression : il déclama une longue plaidoirie politique entièrement axée sur la liberté d’opinion et sur le devoir d’information et de critique des journalistes, dénonça le procès d’intention et « d’hérésie » fait au PCF et, pour souligner l’absence d’indépendance de la magistrature, lut quelques passages de L’État et la Révolution (Lénine), de Matérialisme historique et matérialisme dialectique (Staline) ou encore de La Défense accuse (Marcel Willard) sur « le contenu de classe du banc des prévenus dans le procès politique ».
Prolongeant cet engagement militant pendant la guerre d’Algérie, Roland Weyl fit partie de la trentaine d’avocats parisiens qui prirent part au « pont aérien » organisé par le Secours populaire pour aller défendre en Algérie les indépendantistes réprimés. Il y défendit notamment un jeune homme accusé du meurtre d’une jeune fille de son village et condamné à mort. Pour lui éviter la guillotine, Roland Weyl rencontra alors le général de Gaulle pour lui demander la grâce et l’obtint. Dans un contexte où le PCF luttait également contre le réarmement allemand, Roland Weyl devint aussi à cette date l’un des avocats de « l’affaire Speidel », du nom des inculpations qui touchent de jeunes communistes ayant refusé de servir sous les ordres du général allemand Hans Speidel, nommé en avril 1957 à la tête de l’OTAN. Devant la large mobilisation en faveur des militants, son client Victor Beauvois, comme les autres inculpés, obtint un non-lieu.
Parallèlement, Roland Weyl était très actif dans les activités intellectuelles du PCF puisqu’il devient éditeur de la Revue de droit contemporain de 1954 à 1991, intégra le bureau du Centre d’études et de recherches marxistes et devient également membre du comité de rédaction de la revue Nouvelle Critique, de France nouvelle et de L’Information municipale. Mais c’est surtout son engagement pour la paix et la solidarité internationale qui dominèrent dans l’engagement de l’avocat militant. Membre du Mouvement de la paix dont il intégra le conseil national, Roland Weyl s’engagea activement dès cette période au sein de l’Association internationale des juristes démocrates pour laquelle il assista à de nombreux procès, comme en 1959 où il fut observateur du procès d’un dirigeant communiste au Portugal, ou, plus récemment, lorsqu’il fut chargé par l’association d’une mission d’information au Tribunal Pénal International pour le Rwanda à Arusha (Tanzanie) du 15 au 19 février 2010. Parallèlement à cet activisme dans les prétoires, Roland Weyl écrivit de nombreux ouvrages, dont la plupart co-signés avec sa femme. Hormis son autobiographie militante, Une robe pour un combat. Souvenirs et réflexions d’un avocat engagé, publié en 1989 et préfacée par elle, citons : La Justice et les hommes en 1961 ; La Part du droit dans la réalité et dans l’action en 1968 ; Divorce, libéralisme ou liberté en 1975 ; Démocratie, pouvoir du peuple en 1996 ; Se libérer de Maastricht pour une Europe des Peuples en 1999 ou encore Nous, peuples de Nations unies. Sortir le droit international du placard en 2008.
Dans les années 2000, Roland Weyl continua son engagement en donnant de multiples conférences ou en intervenant dans la presse pour défendre de nombreuses causes comme la nécessaire solidarité avec le peuple palestinien, le respect de la Chartes des Nations Unies et du droit humanitaire par les États en conflit, ou encore l’instauration d’une VIe République. Vice-président de l’AIJF et doyen du barreau de Paris, il se rendait toujours à son cabinet, repris par ses enfants, rue du temple, à Paris.
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English translation:
Roland Weyl was born in 1919 in Paris into a family of lawyers who had been wearing the robes of justice for three generations. His mother, Suzanne Lévy de Souza, was the daughter of “comfortable shopkeepers,” his great-grandfather was a bailiff, his grandfather a justice of the peace, and his father, André Weyl, a lawyer since 1908. It was with his father that, at a very young age, he climbed the steps of the courthouse for the first time and became familiar with the lawyer’s profession. Apart from “fights” with “fascists” in high school, parties to celebrate the victory of the Popular Front in 1936, or participation two years later in a meeting organized by the Young Radicals, which did not convince him to become involved, Roland Weyl was not very political during his youth and devoted himself to his studies. A doctor of law, he was sworn in on July 12, 1939, but, because he was Jewish, he was barred from practicing law until 1945. During the Occupation, his family took refuge in Auvergne, and Roland Weyl, who did not wish to resist within the communist movement, joined the Combat network under an assumed name. He withdrew from the Combat network in 1943 because of “the divisive, anti-communist and suspicious attitude of some of its members”, according to him, and then in 1944 joined the Mouvement des Auberges de Jeunesses de Lyon, which, among other resistance activities, sheltered Jewish children. At the same time, he became a member of the FTP and joined the “groupe franc de Riom” where, under the orders of “Lieutenant J. Thomas”, he carried out investigations in Vichy to prepare for future actions of justice.
After the Liberation of France, the Communist Party appeared to him to be the “only tool for action to change society”. He thus joined the PCF in January 1946 and, like all the militants of the Party, became a member in a number of organizations known as “satellites”. He was quickly a member of the Secours populaire, of which he became a member of the national bureau in 1950, of the Mouvement national judiciaire and of the France-Czechoslovakia association. He also became a member of the board of Peuple et Culture, which advocated popular education, of the committee of Travail et Culture, and became secretary general of Santé-Loisir-Culture, which aimed to spread cultural activities in health facilities and organize cultural leisure activities for tuberculosis patients. While taking on responsibilities in the Party (section office of the 18th arrondissement from 1947 to 1950; section committee of Paris I from 1950 to 1952), Roland Weyl was an activist in the Hajje cell of the Palais de Justice, where he rubbed shoulders with many committed lawyers, such as the socialist Pierre Stibbe and, above all, Marcel Willard, a paradigmatic example of the militant communist lawyer, whose courses on “political defense” he followed.
In a context of radicalized anti-communist repression, as evidenced by the state’s management of the great miners’ strikes of 1947, and like the fifty or so young lawyers who joined the party after the Liberation, he had to learn to become a “revolutionary lawyer” and to politicize his professional practices. He wrote in his memoirs: “Everything to learn, because Marcel Willard’s teaching is a real break with what the faculty, the profession, and, more generally, the bourgeois order can teach.” This political defense, consisting of the defense of a cause in the courts, was implemented by Roland Weyl in all the judicial cases that were entrusted to him from that date forward. As early as 1948, he participated in the collective organization of the defense of accused minors and represented them in Béthune, Douai, Arras and Alès. In December 1948, during one of his return trips between Paris and Béthune, he met Monique Picard, also a lawyer, who he married the following year and with whom they had three children, two of whom also became lawyers. Then, at the time of the “peaks of repression” of the Indochina war, he represented clients in numerous cases of leaflet distribution involving members of the UJRF or in cases alleging “propaganda” involving journalists and press organs of the PCF.
In 1952, for example, he became the lawyer for Georges Morand, director of the publication of Le Ralliement since 1946 and deputy for Maine-et-Loire, and Pierre Dessite, a journalist, both of whom were accused of “insults” and “defamation” for having denounced a verdict against a party member. During their trial, which took place in January before the Tribunal de Grande Instance of Anger, he led a real political defense typical of communist strategies of politicizing repression: he declaimed a long political plea entirely centered on the freedom of opinion and on the duty of information and criticism of journalists, denounced the trial of intention and “heresy” made to the PCF and, to underline the absence of independence of the magistracy, read some passages of The State and Revolution (Lenin), of Historical Materialism and Dialectical Materialism (Stalin) and The Defense Accuses (Marcel Willard) on “the class content of the bench of the defendants in the political trial”.
Extending this militant commitment during the Algerian war, Roland Weyl was one of the thirty or so Parisian lawyers who took part in the “airlift” organized by Secours populaire to go to Algeria to defend the repressed independence fighters. There he defended a young man accused of the murder of a young girl from his village and sentenced to death. To avoid the guillotine, Roland Weyl met with General de Gaulle to ask for a pardon, which he obtained. In a context where the PCF was also fighting against German rearmament, Roland Weyl also became one of the lawyers for the “Speidel affair”, named after the indictments of young communists who had refused to serve under the orders of the German general Hans Speidel, who had been appointed in April 1957 to head NATO. In the face of the large-scale mobilization in favor of the activists, his client Victor Beauvois, like the other accused, obtained a dismissal of the case.
At the same time, Roland Weyl was very active in the intellectual activities of the PCF, becoming editor of the Revue de droit contemporain from 1954 to 1991, joining the board of the Centre d’études et de recherches marxistes, and becoming a member of the editorial board of the journal Nouvelle Critique, of France nouvelle and of L’Information municipale. But it was above all his commitment to peace and international solidarity that dominated the commitment of this militant lawyer. A member of the Mouvement de la paix, of which he was a member of the national council, Roland Weyl was actively involved in the International Association of Democratic Lawyers, for which he attended many trials, such as in 1959 when he was an observer at the trial of a communist leader in Portugal, or more recently, when he was entrusted by the association with a fact-finding mission to the International Criminal Tribunal for Rwanda in Arusha (Tanzania) from February 15 to 19, 2010. In parallel to this activism in the courts, Roland Weyl has written numerous books, most of which he co-wrote with his wife. Apart from his activist autobiography, Une robe pour un combat. Souvenirs et réflexions d’un avocat engagé, published in 1989 with a preface by his wife, we can mention : La Justice et les hommes in 1961; La Part du droit dans la réalité et dans l’action in 1968; Divorce, libéralisme ou liberté in 1975; Démocratie, pouvoir du peuple in 1996; Se libérer de Maastricht pour une Europe des Peuples in 1999 or Nous, peuples de Nations unies. Sortir le droit international du placard in 2008.
In the 2000s, Roland Weyl continued his commitment by speaking in numerous conferences or by intervening in the press to defend numerous causes such as solidarity with the Palestinian people, respect for the United Nations Charter and humanitarian law by States in conflict, or the establishment of a Sixth Republic. Vice-president of the AIJF and dean of the Paris bar, he always went to his office, taken over by his children, on Rue du Temple, in Paris.
All articles published in the International Review of Contemporary Law reflect only the position of their author and not the position of the journal, nor of the International Association of Democratic Lawyers.