The following article was published in the June 2024 issue of the International Review of Contemporary Law, the journal of the IADL, focusing on the 77th anniversary of the United Nations Charter.
Géraud de Geouffre de la Pradelle
(Extract from the 70 Years of the UN Charter)
La situation de la Palestine au regard de la Charte illustre assez bien l’essence politique des institutions juridiques internationales et, par conséquent, leur ambigüité.
La Charte est un traité — donc, du point de vue juridique, la source de droits et de devoirs valables entre les parties contractantes, mais entre elles seules. Toutefois, la portée politique de ce contrat est immense car il unit presque tous les Etats du monde et fonde une “Organisation” dont la mission est universelle, s’agissant, notamment, de “créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international” (Préambule, al. 3) ; de “Maintenir la paix et la sécurité internationales… ; Développer entre les nations des relations amicales… ; Réaliser la coopération internationale…” (art. 1).
A cette fin, les instances de l’Organisation ont reçu le pouvoir juridique — la “compétence” — d’aider, le cas échéant, de contraindre, les Etats membres à poursuivre les “buts” et à se conformer aux “principes” définis au Chapitre premier de la Charte. Mais, en même temps, la Charte donne à l’une de ces instances — le Conseil de sécurité — et, plus particulièrement, à chacun des “membres permanents” de ce Conseil (art. 23 et 27) les moyens juridiques de priver ces principes de toute effectivité — ceci, au gré de leurs motivations politiques ; dans la pratique, ces moyens sont couramment employés.
Force est donc de constater que la Charte valide par avance les violations, sur le terrain et dans l’action, de la générosité pacifique qu’elle affiche solennellement au plan des principes. En d’autres termes, ouvrant la porte à toutes les manœuvres conjoncturelles — surtout celles des membres permanents du Conseil de sécurité — la Charte consacre juridiquement une contradiction fondamentale.
La Palestine est l’une des plus évidentes victimes de cette contradiction.
Sans doute, les dispositions conventionnelles de la Charte s’adressent-elles directement aux “Membres de l’Organisation” (cf. art. 2) et à eux seuls. La Palestine n’est donc pas directement concernée par ces dispositions – car, elle n’a toujours pas été admise en tant que membre à part entière. En revanche, elle est fondée à se prévaloir de normes que la Charte énonce en direction des membres de l’ONU et dont les instances de l’Organisation ont, juridiquement, le pouvoir d’exiger l’application. Il se trouve que les dites instances ont caractérisé les droits que les membres de l’ONU doivent reconnaître, conformément à la Charte, au Peuple et à l’Etat de Palestine ; elles ont, en même temps, dénoncé leur violation. Toutefois, leurs déclarations n’ont à peu prés aucun effet pratique.
Ainsi, parmi les “buts et principes” des Nations Unies, figure le “…respect de l’égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes…” ; donc, à se doter d’un Etat – par définition, souverain (art. § 2). Or, la Palestine ne bénéficie que très partiellement de ces dispositions ( I ).
Surtout, tandis que nombre d’atteintes graves aux droits fondamentaux tant de l’Etat palestinien que de sa population, ont été officiellement constatées, des obstacles politiques, jusqu’à présent insurmontables, neutralisent les “voies de droit” qui devraient être largement ouvertes sur le fondement de ces constatations ( II ).
Droit du Peuple palestinien à un Etat
Sur le plan des principes, la Charte garantit à tous les peuples la jouissance du droit à l’autodétermination (Art. 1, al. 2).
Ce droit n’a été que tardivement reconnu au Peuple palestinien par le Conseil de sécurité qui s’est dit “Attaché à la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières reconnues et sûres…” (Rés. 1397(2002) du 13 mars 2001 et Rés. 1515(2003) du 19 novembre 2003). Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, selon la Cour internationale de justice, le droit du Peuple palestinien à l’autodétermination “ne saurait plus faire débat” (Avis du 9 juillet 2004 concernant le mur, § 118; v. aussi, § 148, 155 et 156).
Or, l’Etat de Palestine avait été proclamé par l’OLP dès le 15 nov. 1988, à Alger et, depuis lors, cet Etat a été reconnu par un nombre croissant d’Etats ; ils sont actuellement plus de 130.
Surtout, la Palestine a été successivement admise à l’UNESCO, le 31 octobre 2011, comme membre à part entière— donc, en qualité d’Etat ; puis à l’ONU, en tant qu’Etat “observateur”, le 29 nov. 2012.
Enfin, dans la foulée de son admission à l’ONU, la Palestine a adhéré à toutes sortes de conventions internationales — dont le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale. Jadis refusée, cette adhésion au Statut de la Cour a été admise comme allant de soi par le Secrétaire général de l’ONU, en conséquence de la qualité d’Etat “observateur” désormais reconnue à la Palestine. Déposée le 1er janvier 2015 avec acceptation de la compétence de la Cour à compter du 13 juin 2014, l’adhésion est effective à compter du 1er avril 2015.
Cependant, le statut d’Etat ainsi reconnu très officiellement, réalise un compromis bâtard et profondément “politique” — au mauvais sens du terme — dans la mise en œuvre des dispositions juridiques de la Charte.
Ce compromis transparaît d’abord, dans l’admission à l’ONU.
En effet, une fois reconnue en tant qu’Etat par une large majorité des membres de l’Organisation, la Palestine remplit manifestement les conditions de fond d’une admission à part entière. Ces conditions sont posées à l’article 4, § 1 de la Charte : il doit s’agir d’un Etat “pacifique”, la Palestine l’étant ni plus ni moins que les autres membres à part entière ; un Etat qui “accepte les obligations” découlant de la Charte et qui est “capable de les assumer”.
Pourtant, une condition de procédure n’est toujours pas remplie : le vote du CSNU qu’exige l’article 4, § 2 de la Charte. En d’autres termes, l’admission de la Palestine en qualité d’Etat seulement “observateur” apparaît comme la mise en forme juridique d’une réalité politique contrastée : d’un côté, l’Etat est massivement reconnu par les membres de l’Organisation ; d’un autre côté, les membres du Conseil de sécurité sont politiquement incapables d’en tirer les conséquences juridiques.
Mais le compromis bâtard se manifeste plus encore à propos des droits fondamentaux tant des personnes que de l’Etat.
Droits fondamentaux des personnes et de l’Etat
Les instances compétentes de l’ONU – Assemblée générale et Conseil de sécurité — ont progressivement affirmé conformément à la Charte que les principes de droit international applicables en Palestine étaient grossièrement méconnus au détriment de l’Etat mais aussi des personnes. Sont ainsi visés, notamment, le droit des individus à retourner dans “leur pays” ( A ), des violations graves de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles ( B ) et l’illicéité de l’acquisition de territoires par la force ( C ). Or, l’efficacité de ces déclarations est pratiquement nulle en raison de la manière dont sont mises en œuvre les dispositions de la Charte relatives au Conseil de sécurité ( D ).
- Le “retour” des personnes
On peut lire dans la Déclaration universelle droits de l’homme du 10 décembre 1948 que “Toute personne a le droit …de revenir dans son pays” (art. 13.1). Si la Déclaration n’est pas juridiquement obligatoire, le droit de retour n’en est pas moins validé en tant que “…droit d’entrer dans son propre pays” par le Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux Droits civils et politiques (art. 13).
Or, ce Pacte oblige formellement l’Etat d’Israël qui l’a ratifié.
Quoi qu’il en soit, dès 1948, l’Assemblée générale a consacré le droit au retour des “Réfugiés palestiniens” : sa Résolution 194(III) du 11 décembre 1948, formellement acceptée par Israël, dispose en effet qu’ “…il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers…” Par la suite, la question a fait l’objet d’un grand nombre de résolutions de cette même Assemblée concernant successivement les réfugiés de 1947-1948, de 1967 et de 1973.
Enfin, le Conseil de sécurité s’est, à son tour prononcé, à partir de 1967, dans des termes quelque peu alambiqués : ses résolutions 237(1967) du 14 juin 1967 et 242(1967) du 22 novembre 1967 évoquent, en effet, la nécessité “d’un juste règlement du problème des réfugiés” — tandis que la résolution 338 (1973) du 22 octobre 1973 renvoie à la résolution 242 (1967) …
Ces résolutions n’ont été que relativement suivies d’effet. Si, en 1949, d’environ 100.000 personnes ont été admises au rapatriement, elles ne furent qu’à peu près 16.000 en 1967. Les Accords d’Oslo (v. “Déclarations de principe” du 13 septembre 1993) ont permis le retour de quelques milliers d’individus. Il reste que, les Autorités israéliennes excluent farouchement que des palestiniens reviennent sur le territoire d’Israël.
La protection des personnes
Certaines dispositions de la IVème Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, sont applicables en cas d’occupation militaire de territoires étrangers (art. 47 et s.).
En dépit de la position prise par les Gouvernements successifs d’Israël qui contestent l’existence de toute “occupation” au sens juridique du terme, une série de résolutions du Conseil de sécurité a déclaré que la Convention était applicable – et devait être appliquée (Rés. 237(1967) du 14 juin 1967 ; 271(1969) du 15 septembre 1969 ; 446(1979) du 22 mars 1979 ; 452(1979) du 20 juillet 1979 ; 465(1980) du 1er mars 1980 ; 476(1980) du 30 juin 1980 ; 681(1990) du 20 décembre 1990 ; 799(1992) du 18 décembre 1992 ; 904(1994) du 18 mars 1994 ; 1544(2004) du 19 mai 2004…). L’Assemblée générale n’est pas en reste (voir, notamment les Rés. 56/66 du 10 décembre 2001 et 58/97 du 9 décembre 2003…).
Surtout, la Cour internationale de justice s’est prononcée en ce sens dans son Avis du 9 juillet 2004 (§§ 90 et 93) et la Cour Suprême d’Israël a fait de même – contredisant, sur ce point, la position officielle de son Gouvernement (voir notamment deux arrêts des 30 mai et 30 juin 2004).
Entre autres conséquences, il résulte de ces résolutions et de l’Avis de la Cour que sont illicites tous transferts de Palestiniens hors du territoire occupé comme toute introduction de colons israéliens dans ces mêmes territoires (art. 49 de la IVème Convention).
De tels faits constituent des crimes internationaux. Cette qualification découle de l’article 147 de la IVème Convention en ce qui concerne la déportation de Palestiniens et quant à l’introduction de colons, elle résulte de l’article 8 du Statut de la Cour pénale internationale qui est applicable en vertu de l’article 12, 2, a, du même Statut, aux actes commis en Palestine depuis le 13 juin 2013.
Pourtant, leur dénonciation par les plus hautes instances de l’ONU, conformément aux dispositions de la Charte, n’a strictement aucun effet : le nombre des colons ne cesse d’augmenter : les palestiniens arrêtés par les forces armées dans les territoires occupés sont systématiquement internés en Israël.
L’acquisition de territoires par la force
Conformément aux “principes” que la Charte pose avec solennité “Les Membres…s’abstiennent …de recourir …à l’emploi de la force …contre l’intégrité territoriale de tout Etat…” (art. 2, § 4). En d’autres termes, l’acquisition de territoires par la force est interdite.
En 1967, le Conseil de sécurité a formellement reconnu par que cette interdiction devait être respectée en Palestine. Sa résolution 242(1967) du 22 novembre 1967 souligne, en effet, “l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre” et rappelle que “l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable …qui devrait comprendre l’application des … principes suivants… : retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit…”
La CIJ a fait de même dans son Avis du 9 juillet 2004 (§ 87, v. aussi, §§ 115, 117, 119 et 121).
Dans ces conditions, l’annexion de Jérusalem par une loi du 27 juin 1967 a été déclarée “Invalide”… “nulle et non avenue…” par le Conseil de sécurité (Résolutions 252(1967) du 21 mai 1967 ; 476(1980) du 30 juin 1980; 478(1980) du 20 août 1980…).
Aucune de ses résolutions n’a eu le moindre effet sur le terrain. Il s’agit donc essentiellement de gesticulations politiques.
L’utilisation pernicieuse des dispositions de la Charte
Les faits qui viennent d’être évoqués sont notoires. Ils illustrent le sort bien connu que les grandes puissances réservent à la Palestine. Mais ils, révèlent également une réalité beaucoup moins bien perçue : la manière dont les dispositions juridiques de la Charte permettent aux mobiles politiques de certains membres du Conseil de sécurité de contourner les principes que fonde cette même Charte.
En effet, du strict point de vue juridique, les prises de position spectaculaires des instances onusiennes concernant les relations israélo-palestiniennes, ne sont aucunement contraignantes — qu’il s’agisse de l’Avis de la Cour ou des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Ces dernières ont valeur d’ ”invitations” (art. 33) ou de “recommandations” (art. 36) conformément aux dispositions du Chapitre VI de la Charte, mais nullement de “décisions” obligatoires. C’est que, jamais, à propos de ces relations, le Conseil n’a cru bon de relever — comme il en a le pouvoir – une “menace contre la paix” ou une “rupture de la paix”, afin de fonder ses résolutions sur le Chapitre VII (art. 39 et 41).
Sans doute, ces résolutions évoquent-elles expressément des normes de droit international auxquelles renvoie, d’ailleurs, le premier chapitre de la Charte. Or, ces normes ont, en droit, une valeur contraignante indépendante de ce qu’en dit ce chapitre. Tout se passe, pourtant, comme si le fait d’être mentionnées dans des résolutions non obligatoires les dépouillait de ce caractère. Il s’agit, en quelque sorte, d’un effet politiquement pervers des dispositions juridiques de la Charte.
Géraud de Geouffre de la Pradelle, né en 1935. Agrégé de droit privé et sciences criminelles(1969). A enseigné le droit civil et le droit international privé pendant trente ans à l´Université Paris X Nanterre et accompli diverses missions d´ordre humanitaire au Moyen Orient depuis 1982
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