La Charte des Nations-Unies : une révolution pacifiste ignorée, Pierre-Olivier Poyard

 

The following article was published in the May 2022 special issue of the International Review of Contemporary Law, the journal of the IADL, focusing on the 75-76 anniversary of the United Nations Charter.

La Charte des Nations-Unies : une révolution pacifiste ignorée, Pierre-Olivier Poyard          

Extrait du livre intitulé « Osez la Paix », publié au Temps des cerises (2021).

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, des représentants de 50 gouvernements, aux systèmes politico-économiques pour certains radicalement différents, font le choix politique de se réunir et de proclamer un texte commençant par : « Nous, peuples des Nations-Unies ». Il s’agit véritablement d’une révolution pacifique : pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, les représentants de 80 % de la population mondiale instituent des principes universels reconnus par tous, visant à favoriser la Paix. C’était le 26 juin 1945 à San Francisco aux États-Unis d’Amérique, lors de la première Conférence des Nations-Unies. Le texte qui est issu de cette rencontre internationale inédite, la Charte des Nations-Unies, a été adopté à l’unanimité des représentants des gouvernements présents.

C’est un moment fondateur et fondamental de l’histoire de l’Humanité car c’est le premier texte de nature législative qui institue un Droit véritablement international et universel. C’est en vertu de ce droit nouveau que le Tribunal de Nuremberg en 1945-1946 a pu juger les criminels nazis… et condamner leurs crimes : un évènement lui aussi historique ! Pour la première fois, on dépassait les simples traités entre puissances, visant à faire état d’un rapport de force, des traités qui ne valaient que pour ceux qui les acceptaient. La Charte des Nations-Unies, elle, a vertu de loi, proclamée comme universelle et égalitaire. Elle s’applique à tous, même à ceux qui ne l’acceptent pas. Et c’est pour veiller à son application qu’est constituée l’Organisation des Nations-Unies, l’ONU, entrée en vigueur le 24 octobre 1945, après que les différents États aient ratifié cette Charte. Enfin ! L’idée de « Paix perpétuelle », développée au siècle des « Lumières », trouve une réalisation concrète, via cette institution. Comme le souhaitait Emmanuel Kant : « L’état de paix doit donc être institué ; car s’abstenir d’hostilités ce n’est pas encore s’assurer la paix et, sauf si celle-ci est garantie entre voisins (ce qui ne peut se produire que dans un État légal), chacun peut traiter en ennemi celui qu’il a exhorté à cette fin. »[1] Ce fut incontestablement un progrès dans l’établissement de cette « Paix perpétuelle », affirmée par Emmanuel Kant à la fin du XVIIIe siècle, que la constitution d’une légalité internationale et d’une institution de la Paix : l’Organisation des Nations-Unies.

Cependant, minorer voire nier le rôle des Nations-Unies, concernant les progrès de la Paix durant la 2e moitié du XXe siècle, est une idée assez répandue…

Dans le best-seller intitulé : « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », l’auteur, professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem, évoque « La Paix aujourd’hui »[2]… mais à aucun moment, les Nations-Unies n’y sont citées : on a l’impression que le moment historique mondial de la Charte des Nations-Unies et de l’Organisation qu’elle a mise en place n’a tout simplement jamais existé ! Pour un livre qui traite pourtant de l’histoire de l’Humanité, c’est assez surprenant ! Il constate cependant« à quel point nous vivons dans une époque pacifique » par rapport aux époques précédentes de l’histoire. Il attribue la baisse des violences intra-étatiques à l’essor des États, qui par la Police et la Justice, protègent leurs citoyens des homicides. Concernant les violences extra-étatiques, il attribue leur baisse à la disparition des Empires britannique, français et soviétique… Il ne considère donc pas les USA comme un Empire : il ne doit pas être au courant des occupations, bombardements, blocus et autres coups d’État dont nous avons fait une liste (dans le chapitre précédent du livre dont sont extraits ces passages)… Plus tard, il écrit : « depuis 1945, à de rares exceptions près, les États n’envahissent plus d’autres États pour les conquérir et les engloutir. » Les exceptions doivent donc être les guerres états-uniennes et… ce que fait l’État israélien en Palestine occupée ! On ne doit pas en parler à Jérusalem…

Ensuite, l’auteur donne des explications à cette Paix relative : il répète la croyance que la bombe atomique serait facteur de Paix, selon ce « catéchisme nucléaire » que dénonce Paul Quilès[3] ; la guerre ne rapporterait plus autant que le commerce en temps de Paix ; et pour finir, « pour la première fois de l’histoire, notre monde est dominé par une élite éprise de paix ». Ces idées nient à un tel point la réalité, et elles sont pourtant tellement courantes… Tout d’abord, comment la bombe atomique pourrait être un facteur de Paix, son utilisation étant impossible ? Comment quelque chose qu’on ne peut utiliser pourrait avoir un quelconque effet ? Non à cause de l’équilibre de la terreur, d’ailleurs, mais plutôt à cause des mobilisations qui ont rendu criminelle, au regard du Droit international, toute utilisation de cette arme. Et la possession de l’arme nucléaire par l’État d’Israël, depuis les années 1970, ne lui a pas amené la Paix… Ensuite, pour ce qui est de ce que rapportent aujourd’hui la guerre et sa préparation (comme le commerce des armes) : 1 000 milliards de dollars par an, au moins, seulement aux USA… des milliards investis pour imposer des échanges commerciaux inégaux entre les États-uniens et le reste du monde… pour le plus grand profit des milliardaires : cela est loin d’être anecdotique… Pour finir, concernant « l’élite éprise de paix », il doit s’agir peut-être d’une métaphore pour désigner les fonctionnaires des Nations-Unies, car cela n’est pas une évidence du côté des militaires et des milliardaires qui nous imposent la dite « guerre contre le terrorisme »…

En France également, on mesure trop peu l’importance historique de la Charte des Nations-Unies et de la création de l’Organisation des Nations-Unies qui en découle. Prenons de nouveau l’exemple de cet ouvrage édité chez Gallimard Jeunesse : « L’histoire de France dessinée »[4] : il n’évoque tout simplement pas les Nations-Unies ! Mais cela n’a rien d’étonnant : les programmes scolaires officiels minorent cette organisation. Ainsi, dans le résumé du programme d’Histoire-Géographie de Terminale Générale intitulé : « Classe terminale : Les relations entre les puissances et l’opposition des modèles politiques, des années 1930 à nos jours (48 heures) »[5], alors qu’apparaissent les termes : « totalitarismes, démocraties, Seconde Guerre mondiale, Empires coloniaux, Guerre froide, État-providence, construction européenne », le terme de Nations-Unies n’apparaît pas… Les Nations-Unies ne sont-elles pas au moins aussi importantes que l’Union Européenne ? Certes la « création de l’ONU » est évoquée au chapitre I du Thème 2… dans une liste de ce qu’on « peut mettre en avant ». Comment interpréter cette minoration, sinon comme l’expression d’une ligne politique ? Une ligne qui identifie des régimes politiques essentialisés sous les termes polémiques de « totalitarismes » et de « démocraties » et qui considère que « la construction européenne consolide la paix » alors que c’est le but des Nations-Unies, dont la création est mondiale et antérieure d’une décennie ! Jamais pourtant avant le 26 juin 1945, répétons-le, autant de représentants de l’Humanité ne s’étaient rassemblés pour établir une Paix perpétuelle

Peut-être sont-ce les principes des Nations-Unies qui froissent les rédacteurs de ce programme scolaire ? À commencer par le pacifisme.

Oui, le pacifisme est fondamental dans la Charte des Nations-Unies : si les représentants de 50 gouvernements se réunissent en 1945, c’est dans l’objectif de construire une Paix durable. C’est une révolution, inédite, parce qu’il s’agit d’une Paix à la portée universelle, perpétuelle. Dès le préambule de ce texte, cela commence bien entendu par la fin des guerres (Résolus « à préserver les générations futures du fléau de la guerre »), liée immédiatement autant au respect des droits humains (Résolus « à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme ») qu’au développement social, économique et politique (Résolus « à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande »). Concrètement, la Paix n’est plus définie comme le moment qui sépare deux guerres, une trêve, une cessation temporaire des opérations militaires qui prédominent : il s’agit au contraire de la Paix perpétuelle, universelle, qui unit toute l’Humanité, à la faveur de principes démocratiques partagés par tous. Autrement dit, les hommes et les femmes doivent éviter les guerres : c’est la diplomatie qui doit résoudre les conflits… mais ils ne peuvent se passer des conditions de la Paix : le respect des droits et la justice sociale.

Le pacifisme est affirmé également à l’article 2.3 : « les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger », ainsi qu’à l’article 2.4 : « les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations-Unies. » Ainsi, la violence est interdite, comme la menace même de la violence ; la Paix devient la norme des relations entre les Peuples. Mais si la guerre est désormais hors-la-loi… Encore faut-il que tous respectent cette loi ! Pas évident… si un État refuse l’action pacifique, il est prévu un chapitre VII dans la Charte, intitulé : « Action en cas de menace contre la Paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Aussi, comme une Paix en armes n’est pas réellement une paix, l’article 26 de la Charte traite du désarmement : « Afin de favoriser l’établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde, le Conseil de sécurité est chargé… d’élaborer des plans qui seront soumis aux Membres de l’Organisation en vue d’établir un système de réglementation des armements. » On ne peut pas dire que la formulation de cet article soit très précise : quel est ce « minimum » ?

Cette Paix se fonde sur un principe fondamental : la souveraineté populaire. « Nous, Peuples des Nations-Unies… avons décidé d’associer nos efforts » : les premiers mots du préambule de cette charte sont un véritable appel à la démocratie. Les représentants présents lors de l’écriture de la Charte, en parlant non pour eux-mêmes, mais pour leur Peuple, ont affirmé que le pouvoir politique provenait du Peuple, ce qui est une des définitions les plus simples de la démocratie. Et il ne s’agit pas d’un Peuple amorphe, mais d’un Peuple acteur, actif : ce n’est pas aux politiciens, encore moins aux monarques héréditaires, de décider pour les Peuples, mais aux composantes de ces Peuples, chaque être humain, chaque citoyen, de fournir des « efforts » pour faire appliquer les principes universels du texte. Ainsi, la Charte affirme qu’il ne peut y avoir de Paix sans démocratie, entendue comme le pouvoir populaire, produit d’une action, d’un engagement citoyen, d’une participation démocratique.

Ensuite, parmi les principes fondateurs affirmés par la Charte, nous mettons l’accent également sur l’humanisme au sens « d’Humanité ».

Dans la Charte, l’Humanité est plurielle, et cependant unie dans une universelle égalité ; elle est unité, pluralité, égalité. Ainsi, dans son préambule, le terme de « Peuples » n’est pas énoncé au singulier mais au pluriel : l’Humanité unique est la réunion de plusieurs Peuples, certes différents, mais égaux et solidaires entre eux, qui se doivent un respect mutuel. « Le binôme universalité/pluralité étant indissociable, la pluralité et la solidarité universelle des peuples sont affirmées par le pluriel unitaire : Peuples des Nations-Unies. »[6] On remarquera que le terme de « Peuple » est préféré à celui de « race ». Quelques mois plus tard, ce terme raciste sera vilipendé par le préambule de l’acte constitutif de l’UNESCO, qui dénoncera« le dogme de l’inégalité des races et des hommes ».[7] De plus, quelle plus belle évocation de l’Humanité que la réunion de tous les groupes humains en vue d’un travail commun ? Cette conception préfigure la notion de « citoyenneté mondiale », certes ambiguë, puisqu’on ne peut pas être « citoyen du monde », dans la mesure où il n’y a pas de « Nation-monde » ou « d’État-monde », cela irait d’ailleurs à l’encontre de la pluralité des Peuples ; mais cette notion a le mérite d’activer une citoyenneté dans chaque État, agissant, en lien avec les institutions et le Droit international, pour faire progresser l’entièreté de l’Humanité.

En prolongement de cette idée, la Charte est la véritable naissance du Droit international universel : « on peut dire que, pour la première fois, l’humanité se dote alors d’un véritable Droit international fondé sur un principe de légalité. »[8] Dans son article 103, la Charte définit sa suprématie légale sur les autres traités, qui doivent s’y subordonner : « En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations-Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront. » En conséquence, « un traité est recevable s’il ajoute à la Charte, pour l’améliorer, la compléter, en préciser et renforcer la mise en effectivité. »[9] C’est tout simplement l’affirmation de son caractère universel : la Charte s’applique à toute l’Humanité et prévaut sur tous les traités. Il s’agit bien d’universalisme et non de multilatéralisme, qui impliquerait un consensus mondial sans cesse remis en cause. Non, la Charte est actée et fondatrice : par exemple, l’article 1.3 précise : « Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion ». Par conséquent, il ne peut y avoir de traités internationaux qui retirent des droits aux êtres humains… Ceux-ci seraient illégaux parce que contraires à la Charte.

Pour finir sur les principes fondamentaux des Nations-Unies, affirmés par la Charte fondatrice de 1945, nous relevons la notion d’internationalisme.

L’article 1.2 affirme : « Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ». Il s’agit d’une grande avancée internationaliste que cette reconnaissance du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». C’est une revendication mise en avant par les révolutionnaires et les démocrates depuis la Révolution française, dont un des aboutissements fut, lors de la Révolution russe, la création d’une « Union des Républiques » sur le territoire de l’ancien Empire du Tsar de Russie… ce que Vladimir Lénine réclamait, notamment dans un texte de 1916[10], et qu’il participa à mettre en place. La Charte des Nations-Unies universalise ce principe. De plus, en reconnaissant, dans l’organisation qui en est issue, que ce ne sont pas les États qui sont membres mais les Peuples, la Charte est un outil juridique au service de la décolonisation, en considérant le colonialisme comme illégitime. Ce n’est pas parce qu’un Peuple est opprimé par un État colonial qu’il ne peut participer au concert des nations. Ainsi, c’est au nom de ce principe que l’ANC, l’African National Congress ou Congrès National Africain, a été reconnu comme représentant le Peuple sud-africain, alors opprimé par un État d’apartheid, ou que l’OLP, l’Organisation de Libération de la Palestine, représentant le peuple palestinien, toujours opprimé par un État similaire d’apartheid, l’État d’Israël, a pu être admis comme observateur[11]. Et dans le futur, peut-être d’autres peuples opprimés… Précisons qu’en 1945, si les États-uniens n’étaient pas hostiles à la décolonisation, c’était parce que celle-ci permettait de démanteler les Empires coloniaux européens rivaux et de transformer la domination « Nord/Sud » : ils espéraient bien en tirer profit.

Ensuite, selon l’article 2.1 : « l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres. » : il s’agit du principe « d’égalité… des nations, grandes et petites ». C’est une autre très grande avancée du Droit international : c’est l’affirmation que le jeu diplomatique ne sera plus un jeu entre puissances, délaissant les nations dont les États disposent de pouvoirs plus limités. Certes, dans les faits, l’organisation issue de la Charte est un lieu de pouvoir et d’influences des grandes puissances : mais en reconnaissant cette égalité en droit, la Charte reconnaît à chaque nation des droits qu’elle peut faire respecter. Parmi ceux-ci, le droit à la non-ingérence, à l’article 2.7 : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations-Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ». Clairement, la Charte interdit l’ingérence dans les affaires internes d’un État et protège de cette manière les Peuples des interventions étrangères. Car les Peuples n’ayant aucun intérêt à se faire bombarder, affamer ou massacrer, on ne voit pas comment des organes de souveraineté populaire, c’est-à-dire des États, pourraient le réclamer aux Nations-Unies. En toute logique, celles-ci devraient interdire à tout État de le faire.

« Le principe de non-ingérence demeure la seule sécurité juridique de la souveraineté des peuples »[12]. Il permet de dénoncer fortement « les guerres humanitaires », fondées sur un prétendu « droit d’ingérence », qui détournent l’idée de « responsabilité de protéger » née en 2005 pour épargner les populations civiles des génocides, des crimes de guerre, des « nettoyages ethniques » et des crimes contre l’Humanité. Dans la logique de la décolonisation au cœur de la Charte, ces guerres, menées immanquablement par les puissances impérialistes les plus militarisées, comme en Libye en 2011, ne peuvent absolument pas se justifier, car l’idée de « guerre humanitaire » n’a pas une origine bien noble : « les guerres coloniales, françaises en particulier, se présentaient comme des conquêtes humanitaires. »[13] Pourtant, les dirigeants impérialistes du XXIe siècle continuent d’utiliser cette justification, à l’instar de Barack Obama, qui déclarait, lors de son discours d’Oslo, le 10 décembre 2010 : « je crois que l’usage de la force peut être justifié pour des raisons humanitaires, comme cela l’a été dans les Balkans, ou dans d’autres régions ravagées par la guerre. »[14]

Sans honte, ce jour-là, le président états-unien justifiait des guerres… en recevant le prix Nobel de la Paix ! C’est dire la crédibilité de ce prix, attribué par un jury élu par le parlement norvégien[15]… Il rappelle au passage la guerre de Yougoslavie en 1999, dont on sait aujourd’hui qu’elle fut justifiée, en partie, par le mensonge du plan « Fer à cheval », fabriqué par le ministère allemand de la Défense[16] . Alors que pour le groupe de pays « du Sud » qui peuvent subir la violence de ces « guerres humanitaires », le « Groupe des 77 » à l’ONU, il n’y a pas de débat. Lors du sommet de La Havane en 2000, il déclarait : « Nous repoussons le prétendu droit d’intervention humanitaire, qui ne se fonde sur aucune base légale dans la Charte des Nations-Unies, ni dans les principes généraux du Droit international[17] ». Ce groupe de pays connaît à quel point les impérialistes états-uniens peuvent s’ingérer dans leurs affaires intérieures, comme ils l’ont déjà prouvé des dizaines et des dizaines de fois lors de la Guerre froide et de la décolonisation au XXe siècle.

La Charte des Nations-Unies et les principes qu’elle promeut sont l’objet d’un rapport de force pour les mobilisations des citoyens en faveur de la Paix.

Bien sûr, avec cet exemple de la « non-ingérence », nous constatons que notre interprétation de la Charte des Nations-Unies n’est pas celle mise en avant par les impérialistes et leurs affidés. Dirigeant des États participant aux institutions internationales, ceux-ci utilisent la Charte de 1945 pour justifier leurs guerres. Ils payent des juristes pour effectuer ce travail… un travail discutable. Mais que des malhonnêtes travestissent les principes universalistes pour justifier leurs crimes impérialistes, leurs guerres iniques, quoi d’étonnant ? Des brigands d’hier aux brigands d’aujourd’hui, les brigandages demeurent. Cela ne remet cependant pas en cause la justesse des principes fondés sur le pacifisme, l’humanisme et l’internationalisme. De plus, en 70 ans d’activités, l’Organisation issue de cette Charte, malgré toutes les critiques, qui peuvent par ailleurs être justifiées, a produit « beaucoup de textes progressistes, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention sur le génocide la même année, la Convention de l’OIT sur l’abolition du travail forcé en 1957, les deux pactes de 1966 (Pacte sur les droits civils et politiques et Pacte sur les droits économiques et sociaux), l’affirmation de l’objectif d’un « nouvel ordre économique international » en 1974, la Charte des droits et devoirs économiques des États en 1974, la Convention sur l’élimination de toute discrimination contre les femmes en 1980… Tous ces textes sont des jalons importants de l’élaboration de normes internationales dans le domaine des droits humains. »[18]

Aussi, pourquoi connaît-on si peu les principes de la Charte des Nations-Unies en France ? Parce que le gouvernement français, via l’Éducation Nationale, et les médias d’État ou des milliardaires, en fait une très faible publicité. Emmanuel Macron n’a pas besoin que nous connaissions ces principes de pacifisme, d’humanisme et d’internationalisme alors que la France « est en guerre ». Cette guerre n’est possible que par le désengagement des citoyens, une forme de passivité qui devient complicité. Si tout le monde savait que les guerres sont illégales en Droit international, le consentement populaire serait peut-être rompu ! La Charte des Nations-Unies, avec ses principes progressistes, met bien en avant la responsabilité des Peuples, et donc de chaque citoyen, d’agir pour la Paix, parce que l’aspiration à la Paix entre les Peuples et avec la Nature est un véritable besoin humain, des plus essentiels. Comme pour toute déclaration de principes, c’est à nous de nous en saisir et de la faire appliquer par notre gouvernement. Organisation Non Gouvernementale et, qui plus est, Organisation Non Capitaliste, le Mouvement de la Paix est un outil de mobilisation au service des citoyens pour faire valoir les principes révolutionnaires de ce texte : c’est la mobilisation citoyenne qui reste, plus que jamais, vitale.

Ces principes progressistes de la Charte des Nations-Unies sont radicalement différents de ceux qui fondèrent la Société des Nations, 26 ans plus tôt.

En 1945, suite à l’adoption de la Charte, est créée l’ONU, l’Organisation des Nations-Unies. Ce n’est pas la première organisation internationale à avoir existé : une Société des Nations l’a précédée. Cette « Société », dont l’appellation rappelle une entreprise capitaliste, avait pour buts de développer les actions diplomatiques entre ses différents membres et de favoriser la Paix. Elle a été instituée en 1919 par la première partie du Traité de Versailles, dénommé le « Pacte de la Société des Nations »[19]. Le Traité de Versailles ? Cette « paix » des vainqueurs est le fruit d’une négociation entre gouvernements états-unien, britannique et français… au détriment des pays défaits par la guerre[20]. Elle met en œuvre un repartage du monde entre les puissances impérialistes qui ont vaincu ces Empires d’Europe centrale… afin d’agrandir leur propre Empire colonial ! Il ne s’agit, ni plus, ni moins, que de la réédition du Congrès de Vienne de 1814-1815, où les puissances européennes s’étaient partagé des territoires suite à la défaite de l’Empire français napoléonien… À la différence que vainqueurs et vaincus ont pour partie échangé leur situation !

L’exemple le plus édifiant de cette conception du monde est l’article 22.1 de ce Pacte : « les principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui, à la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la souveraineté des États qui les gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient d’incorporer dans le présent pacte des garanties pour l’accomplissement de cette mission. » Puis, l’article 22.2 : « la meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter : elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom de la Société. » Ces articles reconnaissent et approuvent le colonialisme !

Une partie des territoires sous domination ottomane ou allemande, au Proche-Orient et en Afrique, passent alors sous « mandat », c’est-à-dire sous domination coloniale, principalement de la France et de la Grande-Bretagne. Cela exclut les territoires européens… Parce que ce Pacte discrimine les Peuples du monde selon différentes catégories : les « peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes », parce qu’ils ne sont pas adaptés au « monde moderne », composés « d’indigènes » (le terme est utilisé aux articles 22.5 et 22.6) ; les peuples européens libérés du joug impérial, qui ont droit à l’indépendance ; et les peuples qui ont « une mission sacrée de civilisation » à exercer vis-à-vis de ceux qui ne méritent pas d’être indépendants… Ces « nations développées », à savoir française et britannique principalement, qui obtiendront des « mandats » de cette Société des Nations pour occuper des territoires au Proche-Orient et en Afrique… avec les conséquences que l’on connaît : répression coloniale par l’armée française en Syrie dans les années 1920, politique de création du « Foyer national pour le peuple juif »[21] par les Britanniques en Palestine. Nous n’avons pas retrouvé les références exactes des propos de Vladimir Lénine, qui aurait comparé cette Société des Nations à une « Caverne de brigands » ou à une « taverne », mais cette image décrit bien les impérialistes français et britanniques qui se partagent le butin colonial des empires vaincus. Cela n’a donc rien à voir avec les principes pacifistes, humanistes et internationalistes de la Charte des Nations-Unies, bien au contraire !

Pierre-Olivier POYARD, 39 ans, est militant du Mouvement de la Paix, membre du

Conseil National, ainsi que de l’ARAC. Professionnellement, il est professeur-animateur

d’Education Socio-Culturelle en lycée agricole et forestier, à Mirecourt dans les Vosges.

[1]Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle, éditions GF Flammarion, 1991, p. 83.

[2]Yuval Noah Harari, Sapiens, Une brève histoire de l’humanité, éditions Albin Michel, 2015, p. 429-439.

[3]Paul Quilès, L’illusion nucléaire, éditions Charles Léopold Mayer, 2018, p. 28.

[4]Béatrice Fontanel et Maurice Pommier, L’histoire de France dessinée, éditions Gallimard Jeunesse, 2019.

[5]https://cache.media.eduscol.education.fr/file/SPE8_MENJ_25_7_2019/17/2/spe243_annexe1_1159172.pdf

[6]Monique et Roland Weyl, Sortir le droit international du placard, éditions du CETIM ou Centre Europe- Tiers Monde, 2008, Genève, p. 17.

[7]http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=15244&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

[8]Monique et Roland Weyl, Sortir le droit international du placard, op. cit., p. 15.

[9]Ibid., p. 16.

[10]Vladimir Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916, sur le site :

https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm

[11]Le Monde du 29 novembre 2012.

[12]Roland Weyl, Droit, pouvoir et citoyenneté, éditions de l’Humanité, p. 50.

[13]Rony Brauman, directeur d’étude à la fondation MSF, dans : Les chemins de la paix aujourd’hui, édité par la fondation Gabriel Péri, 2018, p. 162.

[14]Anne Morelli, Principes élémentaires de la propagande de guerre, éditions Aden, 2010, p. 186.

[15]Le Monde du 7 octobre 2016.

[16]Libération du 6 avril 2000.

[17]Cité par Saïd Bouamama, La gauche et la guerre, éditions Investig’action, 2019, p. 223.

[18]Chloé Maurel, historienne, dans L’Humanité du 19 juin 2015.

[19]Texte en ligne : https://mjp.univ-perp.fr/traites/sdn1919.htm

[20]L’Humanité du 9 novembre 2018.

[21]Selon la déclaration d’Arthur Balfour, Secrétaire d’État des Affaires étrangères britannique, en 1917.

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